mardi 4 octobre 2011

La journée de la louze avec mes élèves puduc

Hier, j'étais en poste en collège de banlieue. Je remplaçais la prof d'anglais (que l'on appelle ici en collège, language arts "art de la langue") de la section "spéciale" de l'établissement.

Dans presque tous les établissements publics, il y une section spéciale, appelée special education. Cette section peut soit signifier des élèves en grande difficulté académique (et donc très très en retard sur le programme) soit des élèves ayant des problèmes de comportement (notamment violence physique et verbale) soit des élèves ayant des handicaps, soit une combinaison des trois précédents.
Ce poste était un choix : en effet, les profs remplaçants ne sont pas désignés pour aller dans une école, mais choisissent parmi une liste de postes disponibles (constamment mise à jour). J'avais déjà enseigné en section spéciale, où tout c'était passé à merveille et où on m'avait même demandé de laisser mes coordonnées pour me contacter directement en cas d'absence de l'enseignante titulaire.

Quand je suis arrivée, en avance afin de pouvoir prendre connaissance de ma salle, de me familiariser avec l'école, de regarder un peu le plan des cours, et bien il n'y avait pas de plan de cours! La secrétaire, du genre ultra-taciture, m'a donné un petit dossier avec l'emploi du temps de la prof (qui s'est révélé faux) et un plan de l'école. Il m'a fallu dix minutes pour trouver les toilettes des profs, à savoir que cette école est construite sur 3 étages et avec une architecture un peu douteuse sous forme de recoins... Il y a donc pas mal de salles de classe sans fenêtre. Je ne sais pas vous, mais je trouve extrêmement difficile de travailler "bien" dans une salle sans fenêtre, j'ai besoin de la lumière du jour. La secrétaire m'a aussi remis un badge avec mon nom, à porter constamment autour du cou : dans les écoles qui craignent un peu, tout le monde doit pouvoir justifier de sa présence et être reconnaissable à tout moment. Sur le même modèle, beaucoup de portes sont fermées à clé de l'extérieur, or on ne donne jamais un jeu de clés aux remplaçants (vive la confiance) donc à chaque fois que tu veux aller te prendre de l'eau en salle des profs, il faut trouver un collègue avec la clé... Car oui, si la salle des profs n'était pas fermée à clé, les élèves y entreraient et se serviraient dans le frigo ou iraient sécher les cours sur le canapé.

Arrivée dans ma salle, il n'y avait rien à l'endroit où j'étais supposée trouver le plan du cours. Ni cours, ni liste d'élèves, ni même un bureau, en fait. Deux autres profs trainaient dans la salle, donc tout naturellement je leur demande s'ils savent où Mrs H laisse habituellement ses affaires, mais ils ne savent pas, et ne font même pas semblant de vouloir m'aider. Je redescends donc au secrétariat, la secrétaire appelle finalement un autre type qui lui, apparemment, sait, mais personne ne trouve ce type et il ne répond ni au téléphone, ni à l'intercom. Ça commence bien, ma première classe arrive dans 5 minutes... Je préviens la secrétaire que je ne vais pas attendre ici mille ans, qu'il faut bien accueillir les élèves et que donc ça serait cool si elle pouvait m'envoyer l'autre type. Il arrive dans ma salle, lent comme une limace, alors que mes élèves sont déjà installés. Heureusement, ce groupe était très calme et je dois dire qu'ils n'ont pas pipé mot pendant tout le cours. L'assistante (en section spéciale, certains élèves ont une assistante ou aide personnelle avec eux pour les "manager" tout au long de la journée) m'a dit à la fin du cours qu'elle ne les a jamais vu aussi calmes. Je pense qu'ils ne sont pas habitués aux remplaçants.

Mon deuxième cours arrive, je rejoins ma salle pour y trouver une prof qui me dit que non, c'est sa salle et que je suis probablement au troisième étage. Encore un voyage au secrétariat, si j'avais su j'aurais apporté mon skateboard. Les deux secrétaires se concertent et découvrent après dix minutes que Mrs H n'a, en fait, pas cours à cette heure-ci. Tant mieux, car j'étais bien en retard! Je m'exile en salle des profs et en profite pour regarder les cours laissés pour les autres classes.

Quand vient le moment de mon troisième cours, il faut que j'aille chercher ma classe directement à la cafétéria. Nous arrivons dans une salle sans fenêtre et les élèves sont déjà bien excités. Bien sûr, certains élèves ne m'ont pas suivi à la cafétéria ("mais je savais pas que c'était elle, la prof") et sont arrivés en retard. L'assistante d'éducation me prend à part dans le couloir et me fait la liste des élèves violents et qui s'énervent facilement, ce qui ne change rien pour moi car je ne connais pas leurs noms et je n'ai pas envie d'avoir peur de dire quelque chose. Je commence à distribuer le travail et à expliquer ce qu'il faut faire quand une élève arrive, ne dit pas bonjour, pose ses affaires, me regarde avec dédain et sort de la salle. Selon les autres élèves, elle n'aime pas les remplaçants, surtout quand ils sont blancs, et préfère donc ne pas venir au cours. Cette élève n'est jamais revenue, je n'ai aucune idée d'où elle était et je remercie le ciel que nous n'ayons pas eu un exercice incendie pendant le cours, car j'aurais eu bien des problèmes avec l'administration. Cette élève est finalement venue en deuxième heure, après qu'une autre prof blanche lui ait parlé. Elle a fait son travail, sans qu'on lui demande rien, s'est bien tenue et n'a pas bavardé, mais n'a pas osé me regarder... Je sais qu'elle s'est sentie mal d'être partie du cours en m'ayant jugée aussi rapidement.

Si vous n'êtes jamais venus aux US, et plus particulièrement dans une ville ou une zone majoritairement noire, c'est difficile de comprendre le ressentiment qu'il existe entre noirs et blancs. Beaucoup d'élèves noirs, parce-qu'ils entendent leurs parents avoir de la rancoeur, n'aiment pas que "des blancs leur disent quoi faire". En tant qu'enseignant blanc et jeune et femme, ce n'est pas facile de se positionner face à un groupe d'élèves où tous sont noirs.

Cette classe a eu du mal à se mettre au travail la première heure. Ils ont honte de lire à haute voix car ils ne lisent pas bien, mais si personne ne dirige le travail, hé bien ce travail n'est pas fait, donc j'ai fait la lecture. Et il y avait beaucoup de lecture! Ils ont cru que je venais d'un autre état : je pense qu'il y a quelques mots que j'ai prononcé bizarrement, et à la fin du cours j'ai autorisé qu'on parle d'où je viens. Ca les a captivé, peut-être que j'aurais du commencer par ça!
En général, les élèves ne remarquent pas que l'anglais n'est pas ma première langue, et rarement un prof -qui parle un peu plus longtemps que la normale avec moi - me demande d'où je viens car il ou elle a entendu "un léger accent" (je cite). Si je fais des fautes de grammaire (et je sais que j'en fais encore), on ne me le fait pas remarquer : j'aime cet esprit de tolérance bien américaine, dans un pays habitué à ce que l'anglais ne soit pas forcément la langue primaire de communication des gens. Ça, c'est ma grosse peur face aux élèves, car je sais que des collégiens en profiteraient un max pour casser ma crédibilité. Je n'ai pas encore eu l'occasion de faire un remplacement de français (ça me démange!) donc en cours, où je ne parle qu'anglais, je me surveille constamment. C'était d'autant plus difficile à mes débuts en maternelle car je ne parle pas "l'anglais des enfants", j'ai donc appris de nouveaux mots mais je continue de leur parler avec des mots d'adulte.

Dans cette même classe difficile, un élève a du nous quitter : en effet, il voulait se moucher le nez dans le couloir (ici, si on ne peut pas aller dans le couloir pour se moucher, on s'isole au moins dans un coin, puis après on va se désinfecter les mains) mais comme ça lui a pris 20 minutes et qu'à chacun de mes appels il m'ignorait, il s'est fait chopé par un administrateur qui passait par là et l'a embarqué au bureau. Il n'est pas revenu en deuxième heure. Ce même élève avait, quelques instants plus tôt, accusé l'assistante d'éducation de l'avoir humilié devant le reste de la classe lorsque celle-ci a pointé qu'il n'avait répondu qu'à 3 questions alors que son voisin était déjà rendu à la douzième. Il a alors répondu au pif (c'était du choix multiple) en quinze secondes et est venu me tendre sa feuille. Nous avons parlé un peu, je lui ai dit que la compétition et la rapidité ne m'intéressaient pas mais que les réponses exactes, en revanche, étaient ma priorité et il a accepté de réviser ses réponses. Malheureusement, comme il n'est pas revenu en cours après l'épisode du mouchage qui durait, il n'en n'aura jamais eu l'occasion.

En deuxième heure, l'activité de lecture s'est mieux passée mais là encore il y a eu beaucoup de bruit, de bavardages, de "jme balance sur ma chaise", de "j'ai pas envie", de conversations à propos de leurs parents qui apparemment sont tous à la ramasse, de moqueries d'autres élèves de la classe et même un portable sorti d'une poche comme par magie. Mon truc, qui marche habituellement avec mes autres classes, c'est de m'arrêter net, de croiser les bras et de leur faire mon regard glacial. Je n'aime pas hausser le ton, encore moins devoir crier ou taper sur la table comme un juge. Mais là, rien de tout ça n'a marché...

A la fin de ma journée, je suis allée en salle des profs (si l'enseignant que je remplace à sa propre salle, en général j'y reste, rapport au bruit horrible que font les photocopieuses en salle des profs) pour lire (=me reposer le cerveau) et remplir mes rapports de cours. En gros, les élèves (même ceux qui avaient la glande) ont tous été respectueux : je veux dire par là que je n'ai ni été insultée, ni menacée -- choses qui arrivent souvent aux remplaçants, à ce que j'ai entendu, mais pour l'instant je touche du bois -- et que la plupart d'entre eux ont quand même fait un peu de travail. Mais globalement, ils ont été difficiles à gérer et ont usé mon énergie qui aurait été mieux mise en avant dans une autre école. Le plus rédhibitoire a été la très mauvaise organisation de cette école, avec un personnel lent, mou et peu agréable.
A l'heure qu'il est, j'ai décidé de ne plus accepter de poste venant de cette école.

3 commentaires:

  1. C'est folklo mais super intéressant! Tu es bien courageuse car moi j'aurais la trouille d'aller bosser avec des élèves violents.

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  2. Passionant Aurore ! Je découvres l'amérique sous un autre angle... J'aimerais bien ceci dit ce que ca donne le regard noir et les bras croisés...

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